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Si témoigner auprès d’un psychologue fait du bien au sujet narrant son récit, c’est parce qu’il se sent écouté à sa
juste valeur et que sa psyché devient pour l’occasion un espace d’attention unique. Par contre, témoigner auprès
d’un sociologue d’expériences ou de compétences que l’on estime n’appartenir qu’à soi, peut s’avérer frustrant.
Pourquoi ? Parce que, ce qui lui est conté est instantanément rapporté dans une sphère plus vaste que la psyché
du sujet narrant son histoire, tant et si bien que ce dernier peut avoir le sentiment de se faire dérober quelque
chose ou de ne pas être écouté sur la bonne fréquence.
L’effet de surplomb
Si je dis que la sociologie procède par ‘dézoomage’, qu’est-ce que cela signifie ?
Qu’après
avoir
analysé
de
près
le
phénomène
ou
le
récit
(zoom)
pour
comprendre
les
faits,
l’observateur
social
met
son
intellect
en
situation
d’éloignement
et
de
recul
(zoom-arrière
),
et
cet
élargissement
du
cadre
lui
permet
de
découvrir
des
éléments
hors-champ
du
récit
qui
lui
est
fait.
‘Dézoomer’,
c’est
donc
modifier
la
distance
focale
,
c’est
agrandir
l'angle
de
champ
de
l’observateur
social.
En
procédant
de
la
sorte,
le
récit
particulier
qui
a
été
fait
par
le
sujet
prend
une
dimension
plus
générale
et
collective.
Arrêtons-nous
sur
une
image permettant de mieux expliquer ce processus où l’angle de vue sensible change de positionnement.
Imaginez
un
astronaute
allant
sur
la
base
de
lancement,
puis
s’élevant
de
plus
en
plus
jusqu’à
voir
la
planète
à
partir
de
sa
station
spatiale.
De
là
où
il
est,
il
ne
saisit
plus
les
mêmes
détails,
et
son
attention
se
porte
naturellement
sur
d’autres
éléments.
Cet
angle
de
vue
spatial
produit
un
changement
visuel
et
gravitationnel,
à
cet
instant
sa
conscience
vit
ce
que
les
astronautes
appellent
l’
Effet
de
surplomb
,
qui
est
le
nom
donné
à
la
sensation
que
procure
la
vision
de
la
Terre
depuis
l’espace.
On
sait
combien
ce
zoom-arrière
est
susceptible
de
changer
la
vision
de
la
planète,
du
monde
ainsi
que
le
rapport
à
la
Nature,
au
point
que
la
conscience
de
certains
astronautes
devient
sensible
à
d’autres
priorités
pouvant
paraître
mystiques,
mais
qui
relèvent
en
réalité
d’un
état
de
conscience
augmenté.
À
400
km
de
hauteur
le
réel
est
observé
et
ressenti
autrement,
notamment
les
frontières
deviennent
inexistantes,
les
individus
sont
présents,
mais
petits
et
silencieux
;
à cet instant précis, autre chose prend le relais dans la conscience de l’observateur.
Comprenons bien que la mission du sociologue consiste toujours à faire du lien entre une expérience particulière et l’évolution de
la société en général, c’est-à-dire à trouver le point de résonance entre les deux, à l’aide de mots et de concepts qui ne sont plus
ceux du sujet narrant son histoire. De sorte que, ce que vit le sujet à titre personnel, peut parfaitement être l’écho de quelque chose
se manifestant déjà à une échelle plus large et sociétale, et qui se met en scène d’une autre façon institutionnelle, idéologique, conflictu-
elle, artistique ou autre.
Ainsi,
ce
qui
fait
le
caractère
unique,
voire
exceptionnel
du
témoignage
émis
par
le
sujet,
est
refondu
dans
quelque
chose
de
plus
général
et
avec
une
autre
sémantique.
Alors,
le
témoin
s’aperçoit
que
ce
qu’il
pensait
n’appartenir
qu’à
lui
et
à
son
expérience
propre
est,
au
contraire,
révélateur
d’autres
phénomènes
vécus
par
la
société
selon
une
loi
de
résonance.
Oui,
son
expérience
lui
est
propre
et
demeure
unique,
par
contre
le
sens
profond
de
ce
qu’il
vit
ne
l’est
pas
forcément
et
engage
des
choix
et
des
comportements
qui
sont
aussi ceux de la société dans laquelle il vit.